Relier les continents par la culture : Entretien avec Vydia Tamby

La culture n’est pas seulement une expression de l’identité—c’est un puissant levier de développement, de dialogue et de transformation. Peu de personnes incarnent cette vision aussi bien que Vydia Tamby, figure incontournable de la scène culturelle sénégalaise et actrice clé des initiatives qui rapprochent l’Afrique et l’Europe à travers les arts et les politiques culturelles. En tant que Conseillère culturelle du Maire de Dakar et cofondatrice des Éditions Vives Voix, elle œuvre depuis des années pour faire de la culture un pilier du développement durable.
Dans cet entretien, elle partage son expérience dans l’élaboration des politiques culturelles de Dakar, son engagement auprès des Capitales Africaines de la Culture, et sa vision pour des collaborations internationales plus équitables. Elle évoque également la conférence Beyond Horizon, un événement majeur visant à repenser les relations culturelles entre l’Afrique et l’Europe et à renforcer le rôle de la culture dans l’élaboration des politiques publiques.

 

  • Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous dire ce qui vous a inspiré à vous engager dans l’élaboration des politiques culturelles et les échanges culturels internationaux, en particulier à Dakar ?

 

Mon engagement pour la culture à Dakar s’est forgé au cours de quinze années passées au service du Maire, d’abord comme assistante personnelle, puis comme conseillère culturelle.  Cette expérience, couplée à mon activité d’éditrice aux Éditions Vives Voix et à ma collaboration avec le Fonds d’Archives Africain, a consolidé ma conviction profonde que la culture doit être un pilier du développement, et non une simple annexe.  Il est temps de lui donner la place qui lui revient de droit de décloisonner les politiques culturelles pour un développement durable et pérenne de nos territoires.




 

  • En tant que conseillère culturelle du maire de Dakar, pouvez-vous décrire votre rôle et vos principales contributions à l’élaboration de la politique culturelle de la ville ? Comment les villes peuvent-elles mieux intégrer la culture dans leur développement pour favoriser les relations intercontinentales ?

 

Mon rôle de conseillère culturelle consistait à définir et mettre en œuvre la politique culturelle de Dakar.  Cette tâche exige une lutte constante pour faire reconnaître la culture comme une priorité politique, et non un simple ajout aux préoccupations plus immédiates.  Il est impératif de dépasser la simple rhétorique des « industries créatives », particulièrement pertinente en Afrique où les réalités économiques sont souvent plus proches de l’artisanat et de l’économie locale.  La Convention 2005 de l’UNESCO offre un cadre de coopération important, qu’il est crucial de mettre en œuvre et d’approfondir.




 

  • Quelles stratégies ou initiatives avez-vous mises en place à Dakar pour renforcer le secteur culturel et promouvoir les expressions artistiques locales ? Quel impact ces initiatives ont-elles eu sur les habitants et l’identité culturelle de la ville ?

 

Pour intégrer pleinement la culture dans le développement, nous devons investir dans la formation et la professionnalisation des secteurs créatifs, construire une politique culturelle de résistance aux défis sociaux et numériques, et valoriser le savoir, les savoir-faire et l’héritage africain. Il est essentiel de repenser les modèles de financement, pour construire des partenariats véritablement égalitaires, et d’utiliser les données pour démontrer l’impact économique de la culture.  Les réseaux internationaux et l’accès aux archives culturelles sont des leviers essentiels pour des politiques durables et des récits plus justes.  L’émergence d’artistes africains explorant des voies innovantes, comme le « nouveau matérialisme », nous offre des solutions créatives, et il est de notre devoir de les soutenir et de les diffuser.  Il ne s’agit pas d’opposer le local et le global, mais de les articuler harmonieusement.




 

  • Pouvez-vous partager un exemple concret d’une initiative ou d’un projet culturel réussi auquel vous avez participé et qui a contribué à des relations culturelles plus équitables et justes ? Quels principes ou valeurs devraient guider les collaborations culturelles internationales pour garantir l’équité et un bénéfice mutuel ?

 

La Maison des Cultures Urbaines de Dakar illustre parfaitement cette approche intégrée, associant formation, production et diffusion, et gérée par les acteurs locaux eux-mêmes.  Cette réussite et cette vision inclusive des politiques culturelles et responsabilisant les acteurs eux-mêmes démontre la valeur d’un partenariat équitable et du respect de toutes les spécificités culturelles.  Pour les collaborations internationales, il faut cette même exigence d’équité et de bénéfice mutuel, en dépassant les rapports d’assistance pour construire des échanges fondés sur la coopération et le respect. L’objectif est de créer un dialogue constructif et enrichissant entre l’Afrique et l’Europe, basé sur la reconnaissance mutuelle et le partage des savoirs.




 

  • En tant que membre fondatrice des Capitales Africaines de la Culture, comment voyez-vous ce programme renforcer les liens culturels entre l’Afrique et l’Europe, tout en promouvant la diversité et l’inclusion dans les arts et la culture ?

 

En tant que membre fondateur des Capitales Africaines de la Culture (CAC), je vois ce réseau comme un puissant levier pour renforcer les liens culturels entre l’Afrique et l’Europe, en promouvant la diversité et l’inclusion dans les arts.  Il ne s’agit pas simplement de célébrer les cultures africaines, mais de les faire dialoguer avec le monde, en favorisant des échanges véritablement égalitaires et enrichissants. Il s’agit aussi de travailler sur un développement endogène de nos territoires avec comme levier principal les filières créatives qui sont des leviers puissants pour développer nos Villes de manière durable, pérenne, et génératrices de valeurs diverses. 

Nos objectifs sont multiples, et visent à atteindre une vision à la fois ambitieuse et concrète :

Célébrer la diversité :  Il s’agit de mettre en lumière la richesse et la pluralité des expressions culturelles africaines, en dépassant les clichés et les représentations stéréotypées.  Ce n’est pas une simple célébration folklorique mais une véritable exploration des identités multiples et dynamiques du continent.

Renforcer les capacités : Nous accompagnons les villes dans la mise en œuvre de politiques culturelles territoriales, en leur fournissant les outils et les ressources nécessaires pour développer leurs propres projets et intégrer la culture dans leurs stratégies de développement durable, en lien avec les Objectifs de Développement Durable (ODD).

Federer les acteurs : Nous facilitons la mise en réseau des acteurs culturels et créatifs africains, pour construire un marché continental fort et ouvert sur l’international.  Cela suppose de rompre avec les modes de coopération traditionnels et de créer des espaces de collaboration véritablement égalitaires.

Favoriser la coopération : L’objectif est de renforcer la compréhension et la coopération entre les villes et les pays africains, ainsi qu’avec les partenaires internationaux.  L’Afrique ne doit pas être passive, mais actrice de ses propres dialogues culturels.

Dynamiser l’espace commun : Nous souhaitons activer le patrimoine, stimuler la création, et confronter les imaginaires pour créer un dialogue plus vivace et un avenir plus inclusif.




 

  • Quelles stratégies sont mises en place pour atteindre ces objectifs, et pouvez-vous partager quelques résultats ou initiatives marquantes ?

 

Les stratégies mises en œuvre reposent sur le partenariat, le soutien à la création et à l’innovation, la formation, la mise en réseau et le dialogue avec les acteurs européens.  Nous travaillons activement à la reconnaissance mutuelle et au développement d’un échange fructueux entre cultures.  Nous devons démontrer concrètement que ces échanges sont porteurs de développement et constituent une force pour construire un futur commun, à la fois local et global.  Nous mesurons nos réussites par l’impact concret de nos actions sur les territoires, par la participation active des communautés et par la reconnaissance internationale de la richesse des expressions culturelles africaines.




 

  • Enfin, vous organisez en avril, avec l’Institute for Transmedia Design, un événement intitulé Beyond the Horizon. Quels en sont les principaux objectifs et thèmes ? Quels résultats espérez-vous voir émerger de cet événement ?

 

Nous organisons à Dakar, avec ma collègue Sara Bozanic de Slovénie, une rencontre de haut niveau le 10 avril 2025, sous le titre évocateur de « BEYOND HORIZONS ».  Cet événement marque les 20 ans de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, et nous permettra de rappeler l’importance cruciale de son article 16.

 

Il s’agit d’une occasion unique de fédérer les acteurs culturels africains et européens autour d’un objectif commun :  faire de la culture un levier essentiel des politiques de demain. « BEYOND HORIZONS » suggère justement cette ambition de dépasser les frontières, aussi bien géographiques qu’idéologiques, pour construire un dialogue fructueux et équitable entre les continents.

Nous voulons construire.  Cette rencontre sera l’occasion de créer un réseau solide, dédié à la promotion de la culture comme moteur de développement, de coopération et d’inclusion.  Nous souhaitons construire ensemble des stratégies concrètes pour renforcer les échanges et promouvoir un accès équitable à la création, à la production et à la diffusion des œuvres culturelles.  L’événement s’inscrit dans la continuité de notre engagement pour une coopération véritablement partenariale et respectueuse des spécificités culturelles, un partenariat qui place la créativité et les cultures africaines au cœur de la construction d’un futur plus juste et plus équitable pour tous.



 

À propos de Vydia Tamby

Vydia Tamby est une personnalité influente de la scène culturelle sénégalaise, occupant le poste de Conseillère culturelle du Maire de Dakar et agissant en tant qu’éditrice aux Éditions Vives Voix, maison d’édition qu’elle a cofondée en 2009 avec Ghaël Samb Sall. 

Titulaire d’un cursus supérieur en édition en France, elle s’est engagée à promouvoir la culture et la littérature africaines à travers des publications qui allient esthétique et qualité littéraire, comme en témoigne leur catalogue. Sous son impulsion, Vives Voix s’efforce de conserver et valoriser le patrimoine culturel du Sénégal et du continent africain, en offrant une plateforme aux artistes et auteurs pour des créations collectives. De plus, Vydia Tamby est consultante en ingénierie de projets culturels et membre fondatrice des Capitales Africaines de la Culture, ainsi que Secrétaire Générale d’Africapitales. En réponse à l’urgence de préserver les mémoires africaines, toujours sous l’impulsion de Ghaël Samb Sall, elles ont initié le Fonds d’archives africains pour la sauvegarde des mémoires, dédié à préservation et la valorisation des patrimoines matériels et immatériels africains. 

Par ses actions, Vydia Tamby contribue de manière significative à la dynamique culturelle et à l’archivage des savoirs en Afrique, créant des ponts entre les générations et les disciplines artistiques, et forte de son expérience de plus de 15 ans à la Ville de Dakar, contribue activement à la redéfinition des politiques culturelles territoriales et leur mise en œuvre.



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